Jean-Xavier de Lestrade, Un coupable idéal, 2001.


En Floride, Brenton Butler, 15 ans, est accusé à tort du meurtre d'une touriste parce qu'il est noir et qu'il se trouve à proximité des lieux au moment du crime. Jean-Xavier de Lestrade a filmé son procès et le combat acharné de son avocat. Implacable.

Le 7 mai 2000 à Jacksonville, en Floride, une touriste est tuée d'une balle dans la tête par un jeune Noir qui lui vole son sac à main. Dans l'heure qui suit, le mari de la victime, sous le choc, affirme reconnaître Brenton Butler, 15 ans, interpellé parce qu'il se trouve dans le voisinage et surtout parce qu'il est noir et porte "un short foncé et un tee-shirt indéterminé" (éléments correspondant au signalement). Mais autant arrêter la moitié des Afro-Américains de la ville ! Le jeune homme se déclare innocent et les policiers ne trouvent rien, ni arme ni argent, qui tend à prouver sa culpabilité. Brenton Butler est passé à tabac et forcé à signer des aveux. L'avocat commis d'office, Patrick McGuinness, va se battre pour lui éviter la prison. De témoin oublié en indice mis de côté, il prouve devant la justice l'innocence de l'adolescent. Quelques mois après le procès, il retrouvera même l'assassin, qui ne ressemble en rien à Brenton. Dans un montage efficace, Jean-Xavier de Lestrade alterne les images du procès et l'enquête menée sans relâche par l'avocat. Il montre de façon implacable comment les policiers se sont contentés de rafler les suspects habituels (ils ont ensuite été démis de leurs fonctions). Le réalisateur français était parti aux États-Unis pour s'intéresser à la justice. C'est finalement l'injustice qui lui fournit la matière de son film, Oscar du meilleur documentaire en 2002.

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Et voici la fin de l'histoire...

 

“Un coupable idéal, dix ans plus tard” : les retrouvailles ratées

Entretien | Dix ans après son documentaire multiprimé sur l'histoire de Brenton Butler, Jean-Xavier de Lestrade retrouve un jeune homme qui a fait une croix sur son passé dans une Amérique toujours aux prises avec le racisme.

Le -
Propos recueillis par François Ekchajzer

 Brenton Butler, muré dans son silence, chez lui, en...

Brenton Butler, muré dans son silence, chez lui, en Floride. © DR

En 2001, Jean-Xavier de Lestrade a consacré un formidable thriller documentaire au procès de Brenton Butler, adolescent afro-américain injustement accusé du meurtre d'une touriste blanche à Jacksonville (Floride). Sous l'âpre combat mené par ses deux avocats commis d'office, Un coupable idéal pointait la violence à l'œuvre dans cette ville du Sud, travaillée par les tensions sociales, raciales et une politique sécuritaire peu regardante sur les méthodes policières et les risques d'erreur judiciaire.

Son film, distingué en 2002 par l'Oscar du meilleur documentaire, est rediffusé sur France 2 ce mardi (à 22h25). Il sera suivi (à 0h15) d'un inédit de 26 minutes, pour lequel Jean-Xavier de Lestrade est retourné à Jacksonville et y a retrouvé les principaux protagonistes de l'affaire. A commencer par Brenton Butler lui-même, aujourd'hui marié et père de deux enfants.

Pourquoi être retourné à Jacksonville, dix ans après ?
La dernière fois que j'ai filmé Brenton Butler, il avait un peu plus de seize ans. Je me suis dit que ce serait passionnant de le retrouver dix ans plus tard. De découvrir le jeune adulte qu'il serait devenu, les responsabilités qu'il aurait prises. En quoi l'épreuve qu'il avait traversée aurait changé sa vie, modifié son destin. Je me suis également demandé ce que cette affaire aurait changé pour ses deux avocats commis d'office, Patrick McGuiness et Ann Finnel qui, avec ce procès, avaient remporté une grande victoire. Bref, je m'étais promis de retourner à Jacksonville dix ans après, pour mesurer les répercussions de cette histoire somme toute banale, mais sur laquelle Un coupable idéal avait jeté un éclairage particulier.

“Aujourd'hui encore,
on étudie le film
dans les facs de droit américaines.”

Quelle a été la réception du film aux Etats-Unis ?
HBO l'a diffusé pas moins de vingt-trois fois. Il a eu un énorme retentissement au niveau national et fait une grande publicité au cabinet pour lequel travaillaient Pat McGuiness et Ann Finnel. Aujourd'hui encore, on étudie le film dans les facs de droit américaines. Les services de police l'utilisent aussi, y compris pour apprendre aux flics à parer les tactiques qu'utilisent les avocats pour essayer de les coincer.

Que sont devenus les avocats de Brenton Butler ?
Cette affaire n'est peut-être pas la plus difficile que Patrick McGuiness ait eue à plaider, mais elle lui a valu une grande reconnaissance et de nombreuses invitations dans des débats et des colloques. Chez les McGuiness, soit on est flic, soit on fait des affaires. En voyant Un coupable idéal, son Irlandais de père a enfin compris que son fils n'était pas le canard boiteux de la famille, et il l'a embrassé. Ç'aurait pu faire une belle conclusion. Mais, en 2008, un Républicain a pris la direction du bureau des commis d'office de Jacksonville. Comme il s'y était engagé auprès du shérif, il a mis à la porte une vingtaine d'avocats « anti-flics ». Parmi eux : McGuiness, qui a ouvert avec Ann Finell son propre cabinet privé et gagne aujourd'hui mieux sa vie qu'à l'époque. Mais j'ai trouvé en lui un grand fond de tristesse. Il a perdu ses illusions et, au lieu d'arrêter de fumer et de boire, il a plutôt doublé les doses.

Le succès d'Un coupable idéal a-t-il quand même eu un impact positif ?
Au lendemain de la cérémonie des Oscars, le shérif de la ville a convoqué une conférence de presse pour annoncer que les gardes à vue de mineurs seraient dorénavant filmées. Le principe a été étendu par la suite à la totalité des gardes à vue. La publicité faite à l'affaire a également permis aux parents de Brenton Butler de demander des comptes à la ville pour les coups qu'il avait reçus dans le commissariat et ses six mois d'emprisonnement dans une prison pour adultes. Quelques jours après la remise de l'Oscar, ils ont reçu 500 000 dollars en échange du retrait de leur plainte. Une fondation financée par des hommes d'affaires d'origine afro-américaine a, par ailleurs, offert à Brenton quatre années d'études dans la meilleure université de Floride. Du drame qu'il avait vécu, ont ainsi surgi des opportunités inespérées.

“Il y a quelque chose de tragique
dans cette histoire.
Comme l'expression d'une fatalité sociale”

Un coupable idéal, dix ans plus tard ne donne pourtant pas le sentiment que Brenton Butler soit aujourd'hui dans une situation très florissante.
J'ignore où sont passés les 500 000 dollars. Les parents de Brenton habitent toujours la même maison en mauvais état et dans laquelle rien n'a changé. Je soupçonne le père d'avoir fait des placements, dont il n'est rien resté. Quant aux études offertes à son fils, celui-ci n'en a pas réellement profité. Pendant un an ou deux, il a vaguement suivi des cours ; mais s'il se rendait à la fac, c'était surtout pour se montrer au volant de la décapotable que ses parents lui avaient payée. Il y a finalement quelque chose de tragique dans toute cette histoire. Comme l'expression d'une fatalité sociale, dans le fait que la famille Butler n'ait pas su s'emparer des opportunités qui se sont présentées.

L'épreuve endurée par Brenton Butler ne l'a donc pas transformé ?
À sa sortie de prison, il a été invité un peu partout — jusque sur le plateau de l'émission d'Oprah Winfrey, suivie par des dizaines de millions d'Américains. Il se contentait de dire deux ou trois mots, et on l'applaudissait. Quand le destin vous tombe dessus, il faut savoir le transformer. Brenton Butler en était incapable. Lorsqu'il s'est rendu compte qu'il ne serait jamais le porte-parole d'aucune cause, il a décidé de tourner le dos à sa propre histoire, de vivre dans le déni de son passé et des violences subies au cours de son emprisonnement. De ne plus en parler. Sa femme elle-même n'a eu connaissance de l'affaire que quatre ans après leur rencontre !

Les avocats « anti-flics » de Jacksonville ont été mis hors-circuit, les policiers mis en cause au procès s'en sont sortis sans la moindre sanction et les Butler ont retrouvé leur petite vie d'avant… L'ordre social a repris ses droits. Cette réalité pour le moins amère, le film permet de l'entrevoir, mais ne l'approfondit pas.
J'aurais voulu réaliser un documentaire deux fois plus long, qui aurait traité ce retour à l'ordre. Le contexte politique aurait été beaucoup plus présent. Il se serait exprimé à travers les mentalités qui n'ont pas changé, la persistance des tensions raciales et d'un climat sécuritaire très marqué. Mais les rushes que j'avais ne le permettaient pas.

“À Jacksonville, la justice
est une religion
et un business qui tourne rond.”

Que s'est-il donc passé ?
Je n'ai pas disposé des moyens qui m'auraient permis de rester assez longtemps sur place. Pendant que je tournais, un nouveau palais de justice à 490 millions de dollars était en construction, pour lequel la ville s'était d'ailleurs endettée. Un vrai temple romain. À Jacksonville, la justice est une religion et un business qui tourne rond. La ville recevant de l'argent de l'État de Floride pour chaque détenu, il faut bien remplir la prison. Incarcérer, incarcérer… J'aurais eu besoin de plus de temps pour rendre compte de cette forme d'industrie pénitentiaire. Et puis, Brenton Butler et ses parents ne se sont pas montrés très coopératifs.

C'est-à-dire ?
La famille de Brenton Butler est consciente de l'influence qu'a exercée le film sur le cours du procès et reconnaissent que l'argent versé par la ville est un effet d'Un coupable idéal et de l'Oscar qu'il a reçu. Mais tant de fantasmes gravitent autour du monde du cinéma, qu'ils ont pu croire que nous avions tiré de cette histoire des millions de dollars et que nous aurions pu leur en faire bénéficier. Les studios américains ont développé trois ou quatre projets de fictions adaptées de l'affaire. L'un d'eux a capoté parce que la famille de Brenton voulait toucher plus d'argent que les avocats ! Pour se laisser filmer son père m'a d'ailleurs demandé 25 000 dollars ! Me trouver confronté à ce type de rapport après ce que nous avions vécu m'a beaucoup déçu. Les parents de Brenton sont donc absents du film.

Brenton, au moins, s'y trouve.
Lui savait que nous n'avions pas traversé l'Atlantique pour nous faire de l'argent sur son dos. Et puis, à travers les parloirs comme au moment de sa libération, un sentiment de sympathie était passé entre nous. Ça ne l'a pas empêché de refuser de me rencontrer, par solidarité avec ses parents. Il a fallu deux ou trois jours de discussions téléphoniques, pour qu'il accepte enfin de nous voir et nous accorde généreusement… une journée de tournage. Autrement dit, je n'ai pas pu le filmer dans sa vie quotidienne, comme je pensais le faire. Et le film s'en ressent.

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